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Biographie de Procol Harum
Groupe emblématique du « summer of love », mais en Europe, Procol Harum est le groupe du tube mondial « A Whiter Shade of Pale ». Vision réductrice car cette formation britannique aux accents baroques a continué, pendant toute une décennie, à composer des albums de grande qualité, notamment les trois premiers, en deux ans. Le pianiste et chanteur Gary Brooker en a été la véritable colonne vertébrale, à l'origine de la quasi-totalité des compositions, il est, avec le parolier Keith Reid et l’organiste Matthew Fisher, encore aujourd’hui la cheville ouvrière de Procol Harum. Son jeu de piano et son inspiration mêlant blues et classique ont fortement marqué l’ensemble de la carrière du groupe. Une musique qualifiée suivant les critiques, de majestueuse, poétique, unique, variée, ou pompeuse, voire grandiloquente.
Gary Brooker, né en 1945, débute les cours de piano à 11 ans. Son
professeur constate qu’il préfère plutôt jouer du Ray Charles que du classique.
Compréhensif, il enrichira ses cours avec des morceaux du grand chanteur
américain. Brooker en tire la conclusion que Bach et Ray Charles ont peut-être
quelque chose en commun. A la fin des années 50, Gary Brooker forme The
Paramounts, avec Barry J. Wilson, Robin Trower à la guitare, et un autre
musicien destiné à rejoindre Procol Harum plusieurs années après sa formation :
le bassiste Chris Copping. Les Paramounts jouent essentiellement du rhythm 'n’
blues, un genre alors très en vogue, beaucoup de reprises, enregistre quelques
singles et un album, et tourne même avec les Rolling Stones.
En 1966, Gary Brooker quitte The Paramounts en pleine désagrégation. Lassé de ce
genre musical, il cherche un projet neuf. Il rencontre alors Keith Reid, qui
désire faire connaître les poèmes qu'il écrit et laisse à Gary l'un de ses
textes. Le lendemain, il lui téléphone pour lui demander ce qu'il en a pensé.
Gary lui répond qu'il a déjà posé une chanson sur ses mots et qu'il aimerait lui
faire entendre. Le tandem Brooker-Reid, signataire de la plus grande partie des
morceaux du futur Procol Harum, vient de naître. Dans un premier temps, les deux
jeunes hommes ne pensent pas enregistrer leurs chansons eux-mêmes. Ils les
proposent à d'autres artistes tels que Dusty Springfield ou les Beach Boys, mais
tous refusent. Arrivés à la conclusion qu'ils seront les seuls à vouloir jouer
leurs morceaux, Brooker et Reid recrutent des musiciens : Robin Trower reprend
la guitare, B.J. Wilson la batterie, et David Knights les rejoint à la basse.
Une petite annonce passée dans le Melody Maker par un organiste intrigue
Brooker. C'est ainsi qu'il rencontre Matthew Fisher, très imprégné par la
musique baroque, et qui joue de l'orgue et du clavecin. A l'avenir, Fisher
signera quelques compositions, parfois avec Brooker. Il est recruté comme membre
à part entière du groupe, tout comme Keith Reid, bien que ce dernier ne joue
d'aucun instrument. Ami du groupe, l'animateur radio Guy Stevens téléphone à
Brooker pour lui suggérer une idée de nom : il vient d'apprendre qu'un chat de
son quartier porte un pedigree du nom de Procol Harum, ce nom étrange plaît au
groupe qui l'adopte aussitôt.
Les répétitions commencent. Gary Brooker interprète un nouveau morceau, David
Knights : « c'est un tube ! », Brooker : « non, juste une de nos chansons… ».
Cette chanson s'appelle « A Whiter Shade of Pale », dont les cinq
premiers accords et la ligne de basse descendante sont inspirés de l’air sur un
accord de sol de la suite en ré majeur de Bach (BWV 1068). Produite par Denny
Cordell (The Moody Blues) qui veut un « slow » dans la lignée de « When A
Man Loves A Woman » de Percy Sledge, elle sort en single, devient un tube
immense en France (il y est d’ailleurs le premier 45t étranger à inclure
seulement deux titres), puis au Royaume-Uni, et enfin dans le monde entier.
C’est l’été 1967, Procol Harum vient d’écrire le majestueux slow planétaire et
inoxydable du fameux «summer of love». Il est suivi en octobre d’un autre hit,
« Homburg », tout aussi cérémonieux.
Enthousiaste, le groupe sort un album éponyme avant la fin de l'année, dont la
première édition ne contient pas les deux hits. Le premier quintette Procol
Harum ne manque pas d'originalité pour son époque. La présence de Keith Reid,
parolier officiel, est alors une première. Il pose avec les musiciens sur toutes
les photos. La présence de deux claviers constitue également une nouveauté.
Brooker ne quitte jamais le piano, et Fisher ne joue que de l'orgue ou du
clavecin. Les deux instruments peuvent être joués soit en tant qu'instrument
baroque, soit avec un style blues. Ils s'enrichissent régulièrement de
contrepoints. Le jeu de batterie de Wilson est excellent et typique de l'époque,
très rapide, syncopé et épais. La guitare électrique est très marquée par les
sixties, elle tente de sonner Hendrix avec peu de conviction. Les compositions
de Procol Harum sont résolument pop, avec cette influence classique qui assurera
le succès à d'autres groupes de l'époque, de Iron Butterfly aux Moody Blues.
Deux titres magnifiques illuminent l’album et deviendront des classiques :
« Conquistador », et le sombre « Repent Walpurgis ».
Le groupe sort son deuxième album un an plus tard, Shine On Brightly.
Le succès retombe aussitôt au Royaume-Uni, où le groupe n'aura plus jamais
aucune audience et rares sont les pays qui acceptent de suivre Procol Harum au-delà
de « A Whiter Shade of Pale ». Les Etats-Unis en font partie, et
outre-atlantique Shine On Brightly sera aussi bien reçu que le
Sergeant Pepper's des Beatles. Le marché américain assure sa pérennité au
groupe qui récidive en 1969 avec A Salty Dog. C'est l'album le plus
collectif du groupe, où tous les musiciens collaborent à l’écriture.
Musicalement, le virage amorcé avec Shine On Brightly (plus
expérimental et plus progressif que le premier album) continue : Procol Harum
est plus subtil dans ses mélodies, et s'adjoint un orchestre à cordes. « The
Devil Came From Kansas », « Crucifiction Lane » et surtout le splendide
morceau d’ouverture aux paroles énigmatiques « A Salty Dog », avec ce
vers qui est osé pour l’époque : « How many moons and how many junes have passed
since we made love ».
Avant la sortie de cet album, Matthew Fisher quitte le groupe, suivi par
David Knights, laissant Brooker et Reid à l’écriture. Chris Copping un ancien
des Paramounts est recruté pour les remplacer tous les deux, il est à la fois
organiste et bassiste sur l'album Home produit par Chris Thomas en 70
où l’orgue ne prédomine plus à l’avantage de la guitare de Trower. Signe des
temps avec l’éclosion des groupes « heavy » à guitares et inspiration bluesy.
Symptomatique est en effet le refus du groupe de ne plus jouer « A Whiter
Shade of Pale » sur scène afin de se démarquer de ce boulet qu’il traîne
depuis trois ans. Ici intervient le récit d’un enregistrement mythique resté
longtemps l’un des grands mystères de l’histoire du rock anglais. Avant de
débuter les séances de Home aux studios Abbey Road, le groupe
s’échauffe sur des classiques du rock ‘n’ roll et du rhythm ‘n’ blues, tels que
les jouaient les Paramounts. Chris Thomas envoie des extraits de la bande
originale (enregistrée « live » en studio, sans « overdubs ») au dj Roger Scott,
qui officie dans la station de radio indépendante Capital, et celui-ci les
diffuse sans mentionner le nom du groupe réel mais sous le nom d’un pseudonyme,
Liquorice John Death; la réaction est enthousiaste, et le petit monde du rock
britannique essaie de deviner en vain qui se cache derrière ce nom. Mais Scott
décède et la bande est égarée. Une copie de sauvegarde ne sera découverte que
bien des années plus tard, et le cd Ain’t Nothin’ To Get Excited About
par L.J.D. n’est édité qu’en 2002. Ce pseudo (et le titre) avait été inventé par
un fan des Paramounts, qui s’est ensuite suicidé à sa sortie d’un hôpital
psychiatrique ; « For Liquorice John » sur l’album Grand Hotel
lui est dédié. Les reprises sont épatantes, et Robin Trower y brille
particulièrement. Mais il quitte le groupe après la sortie de ce que beaucoup
considèrent comme le meilleur album du groupe à juste titre, et l’un des musts
de la carrière de Chris Thomas, Broken Barricades, paru en juillet
1971. Enregistré dans la foulée d’une tournée américaine, le son est donc plus
lourd, la basse est produite par le claviers de Chris Copping (à l’instar des
Doors), plus de liberté est donnée à B.J. Wilson et Robin Trower, et la voix
magnifique de Gary Brooker n’a jamais été aussi bien capturée. Il écrit
d’ailleurs « Memorial Drive » pour son guitariste, un riff imparable
dont les amateurs conjoints, s’il en fût, de Procol Harum et Deep Purple se
souviendront lors de la découverte de « Smoke On The Water » de ce
dernier, paru… un an plus tard…
Robin Trower parti en solo et remplacé par Dave Ball, le groupe met alors au
point un concert grandiose avec le Edmonton Orchestra canadien et des choeurs
classiques.
Chris Copping se concentre sur les claviers et Alan Cartwright
prend la basse. Il restera membre du groupe après le concert, mais c'est Mick
Grabham qui tient la guitare sur l'album Grand Hotel (1973). Procol
Harum est alors devenu un groupe de rock progressif, avec de fortes influences
classiques, des solos de guitare et des roulements de batterie. En 1975, Grabham
et Wilson font partie des musiciens qui enregistrent la B.O. du légendaire film
The Rocky Horror Picture Show.
A partir de 1975, la qualité des compositions s'effrite. En 1977, Alan
Cartwright quitte le groupe, Chris Copping reprend la basse et Pete Solley le
remplace à l'orgue. Le légendaire orgue Hammond est remplacé par un synthétiseur
Yamaha, les sons électroniques font leur apparition, et l'inspiration de Brooker
semble se tasser. Après un album cédant à la pompe et la facilité, Something
Magic, le groupe se dissout. La même année, «A Whiter Shade Of Pale»
est consacrée meilleure chanson pop britannique depuis 1952, conjointement avec
«Bohemian Rhapsody» de Queen.
Dans les années 80, Gary Brooker travaille comme musicien de studio ou de scène
avec des artistes tels que son partenaire de pêche Eric Clapton, et tente
l’aventure solo. Procol Harum ne se reforme qu'en 1991. Brooker et Reid
apportant leur lot de compositions, Fisher, Trower, Knights les rejoignent pour
enregistrer The Prodigal Stranger. Manque Wilson, l’un des meilleurs
batteurs anglais, décédé des suites d’une pneumonie en 1990. L’album est suivi
d’une tournée au succès mitigé. Nombreux sont ceux qui arrêtent l'existence de
Procol Harum au seul «A Whiter Shade Of Pale». Pourtant, la suite de
leur carrière recèle de véritables trésors, à l’image de la pièce « In Held
'twas in I » extraite de Shine On Brightly ou de la remarquable
prestation live avec l'orchestre d'Edmonton parue en 1972, et une nouvelle
réunion en 2003 pour l’inégal The Well’s On Fire. Un groupe à
redécouvrir absolument.
Julien Oeuillet
Paradoxically this article concludes with a little recommendation of the best albums: